Brouillons de pensées

Estrade

Comment faire sortir un personnage de l’œuvre le contenant ? Il suffit qu'il n'ait jamais été enfermé dedans, mais qu'une partie de son essence ait été projetée et enfermée dans l’œuvre par un système de perception limité, tel l'être humain avec dans un premier temps la culture, et plus primordialement par l'abnégation culturelle des sens. "Vivre c'est respirer le bon air frais. La vie c'est les enfants. Vivre c'est sentir." Faux. La vie est un escalier qu'il faut s'efforcer de parcourir par l'intraperception, et non pas une marche depuis laquelle on contemple sa propre contemplation. Le personnage est donc déjà sorti de l’œuvre, car je – ce "je" étant tous les mois possibles –, je suis ce personnage, et je suis bloqué à une marche car je ne sais pas comment la monter ; mais monter n'est pas la seule façon de parcourir un escalier.

je suis donc descendu, descendu dans ce théâtre infernal qui n'est que la projection de mon univers. Et je suis devenu un fou parmi les fous, sans pour autant être plus fou que maintenant. je me suis posé les même contraintes, mais plus fortes. je me suis placé parmi les mêmes congénères, mais plus ignares. j'ai porté les mêmes masques, mais plus épais. Et j'ai emporté avec moi ce vide incomblable qui me pousse à voir les ficelles des marionnettes, à voir derrière les masques de tous ces acteurs, à prendre conscience du poids de mes propres masques, et à percevoir cette scène où tout n'est que jeu et danse et séduction et mensonge. j'ai emporté avec moi l'envie de descendre de scène, de fusionner mon personnage et mon acteur, de trouver l'histoire primordiale, de trouver l'étincelle qui a poussé un certain à écrire tel texte religieux, qui a poussé une certaine à associer tel son sur tel graphe. Et je l'ai oublié, ce vide. je l'ai oublié car c'est ce que j'ai voulu enfouir en descendant dans ce théâtre ignoble. Et j'ai oublié d'où j'étais venu. Et une fois redécouvert ce vide, une fois le décor de nouveau analysé, je me suis rendu compte que tout était comme si je n'étais même pas descendu. Et j'ai découvert que ma perception était un grand rideau rouge qu'il me suffisait d'ouvrir, pour descendre de scène, et laisser le vide que j'avais emmené ici-bas, sur la scène de ce théâtre fabriqué de toute pièce par ma volonté d'oubli. Mais poser une partie, si grosse soit-elle, d'un vide incommensurable, ne réduit pas de beaucoup ledit vide. C'est pour cela que je me dois de remonter encore, de descendre de cette scène ignoble. Et encore. Et encore. Pour que possiblement, après beaucoup d'itérations, j’eus laissé suffisamment de ce vide sur toutes ces scènes impies, et que je trouve la félicité, où un autre vide m'attend avec l'amour d'une mère. Et en parlant de ce vide ainsi, je parle en fait d'une masse, d'un fardeau que l'on traine jusqu'à l'endroit qui en accepte une partie. Car ce vide est lourd.

Mais si tous ces théâtres sont les mêmes, comment pourrais-je atteindre une quelconque extrémité ? Comment se satisfaire devant l'oubli de soi et la redécouverte de soi ?

Si tous les théâtres sont les mêmes, alors je ne dois pas monter ou descendre dans ceux-ci, mais je dois annihiler la notion même de jeu, de pièce. je dois terminer la pièce, et faire en sorte de comprendre tellement profondément ce théâtre que par relativité de la perception – assimilable à la persistance rétinienne –, il s'annihile. Et pour comprendre ce théâtre, je ne regarde pas la scène, mais je regarde le personnage, le masque qu'il porte, et je regarde en lui ouvertement.