Une seule fois...
Une musique qu’on apprécie, on ne peut l’apprécier vraiment que pendant les deux ou trois premières écoutes. Après elle devient quelque chose de connue, de laquelle on attend certaines émotions, certains ressentis liés à la surprise, qui deviennent de l’attente.
Comme un premier fix vers lequel on tend, vers lequel on penche pour retrouver ce rappel d’un rêve que l’on a cru avoir vécu un jour. Une première ne peut jamais rester que cela : une première fois. On ne vit les choses qu’une fois. Des fois deux. Tout ce qui suit est une recherche vaine vers un sentiment déjà perdu.
La force plastique du cerveau est à la fois ce qui permet un émerveillement et ce qui condamne à être déçu. On erre dans cet espace concret, éphémère. On s’habitue à tout, surtout à ce qui a été plaisant à un moment. Toute expérience est unique, comme tout le reste.
L’apprentissage est un fardeau, duquel on ne peut que retenir qu’une vague émotion déjà perdue, déjà flétrie. La sentience, la mémoire, l’expérience sont la preuve immuable de l’aspect nomade de la façon dont nous percevons. Une conclusion à tirer ? La permanence du passé. Une fois l’euphorie passée, il reste peu. Il reste l’espoir de retrouver l’innocence.
En plus de la volonté de revivre ces expériences sans succès, on en vient à créer des versions différentes, plus parlantes, ou tout du moins différentes, permettant, pour une fois, de prétendre à les revivre. On en gâcherait sa vie. On en viendrait à trouver toute sorte d’excuses pour justifier d’un comportement insensé mais visant un plaisir perdu. On en viendrait à une vanité extrême, statuant sur la nature des choses sans pourtant en avoir la moindre idée. On écrit trois ou quatre paragraphes là où un suffirait. On se forge une personnalité supérieure, car l’on ne peut pas accepter de n’être que ça. On n’accepte pas d’être. Admettre être, c’est admettre vouloir être. Et qui voudrait de ça ? On prétend, on construit des châteaux de marbres cachant la boue sur laquelle il est construit, on bâtit des monuments à sa prétention, et on l’affiche fièrement, comme si une boue, parce qu’elle est fière, pouvait devenir du granit. On cherche le pouvoir peut-être ? On cherche le pouvoir sur son image, car c’est bien tout ce sur quoi l’on peut en avoir.
Oh, certainement, on peut apprécier un morceau de musique plus d’une fois, mais il est clair que l’on ne parle pas vraiment de musique ici, juste de mise en scène égoïste ; de présentation, d’affichage. Lorsque je prétends, je vis une autre vie. je vis la vie à laquelle je rêve, mais surtout je vis la vie que je montre. Vivre se résume alors à un jeu qui ressemble alors à une prestation mal doublée de série de bas étage. Rien n’est sincère dans cette démarche. Pourquoi tu dis ça ? Tu ne te trouves pas sincère ? Ta gueule, tu sais très bien que je ne suis pas sincère, ça ne t’empêche pas de profiter de ce que ça t’apporte. Ça me cache juste davantage, je ne vais pas m’en plaindre. Tu devrais. Tu ne devrais même pas exister. Tu devrais me procurer de la honte. Et pourtant, nous avançons. Vers quoi, il est clair que je ne peux pas savoir, cela m’est interdit. j’allais dire que je pouvais imaginer ce que serait l’existence sans toi, mais ce serait un mensonge. Un mensonge habituel certes, mais un mensonge tout de même.
T’en a pas marre de tes figures de style pompeuses ? Tu te crois écrivain ? Tu penses que si qui que ce soit devait te lire il féliciterait ces pauvres dialogues ? Non. Peut-être, je ne sais pas ; je ne me situe plus socialement. Et ça veut dire quoi ? Dire des choses vagues pour paraître profond ç’a déjà été fait maintes fois. Et alors ? je trouve une manière d’évacuer mes pensées à quelqu’un qui me comprend.
Putain de niaiseries, on ne s’en sort plus. Toute cette mise en scène renifle la malhonnêteté. Ce serait un scénar’ de film pourquoi pas, mais ici ça n’a aucune valeur. Peu de choses ont de la valeur ici.
Dix minutes pour terminer ? Ça ne devrait pas poser problème, vu la qualité de l’écrit… Ta gueule, tu veux bien ? Quitte à ne pas avoir de sens, cette conversation peut-elle au moins avoir le mérite d’expier mes fardeaux ? Comme si elle le pouvait.
De couleurs en couleurs, de goûts en goûts, de chemins en impasses, je perçois. je juge. je regrette un temps que je ne n’ai jamais connu par l’unique raison de mon inadéquation avec mon entourage. Le monde nous invente plutôt que l’inverse, et j’en suis malade. Nous en sommes tous malades. D’un côté, rien de nouveau ; on se demande quand même bien comment une chose peut avoir un seul côté.