Brouillons de pensées

Une seule fois...

Une musique qu’on apprécie, on ne peut l’apprécier vraiment que pendant les deux ou trois premières écoutes. Après elle devient quelque chose de connue, de laquelle on attend certaines émotions, certains ressentis liés à la surprise, qui deviennent de l’attente. (...)

Causalité

Se sentir vivre est une épreuve, faisant tourner les mécanismes réflexifs, sans fin, c’est comme trouver le premier engrenage dans une horloge éternelle. La causalité a perdu de sa saveur, il ne reste que les faits, détachés, froids et déconnectés. Une chose est, une autre l’est après. La causalité apparente est d’une part souvent trompeuse, de l’autre aucunement suffisante pour apporter une explication de la séquentialité. La séquence est juste posée, faisait partie du donné, et tout le reste n’est qu’interprétation. je ne peux me soustraire à cette interprétation, d’où les nombreux stratagèmes de réorganisation de ma pensée dans ces paradigmes insensés. Sans grand succès, il faut l’avouer. (...)

Expression et réception macroscopique

Doit-on adapter sa façon d’exprimer en fonction de l’auditoire potentiel ? La réponse intuitive est que oui. L’expertise donne certains chemins de pensée raccourcissant la réflexion de façon incontestable. La question est de savoir jusqu’à quel point il est judicieux de simplifier l’exposé lorsque l’on vise à sa communication. Si de prime abord le but est réellement la communication d’un concept, alors il paraît évident de devoir maximiser sa compréhension. Si d’un autre côté le but est le débat et l’échange d’idées, il apparaît que l’effort dépasse parfois le « retour sur investissement », engrangeant une fatigue d’un côté et une frustration de l’autre. Mais là où le problème s’installe, c’est dans la taille des différentes parties. (...)

Néant

La conscience humaine est le mensonge. Présenter une façade, voilà ce qui fait de l’humain l’humain. Il passe tellement de temps à s’imaginer une existence qu’il en oublie la sienne. Comment peut-on croire à l’existence lorsque l’on voit tout ce que l’on peut nier ? Il est tellement facile de nier, que l’on peut même s’amuser à nier le néant. Mais cela donne toujours cette boucle positiviste, où l’on ne peut que concevoir les choses. Même concevoir l’absence de quoi que ce soit, c’est l’imaginer puis le détruire. Tentons d’imaginer l’absence de néant, dans l’algorithme conscient. On commence par demander d’imaginer quelque chose qui n’existe pas, mais qui pourrait. « Imaginons une chaise avec personne assis dedans. » Première étape : imaginer une chaise. Deuxième étape : imaginer quelqu’un dedans. Troisième étape : enlever ce quelqu’un. Nous sommes désormais en possession d’une chaise avec personne assis dessus. Maintenant imaginons qu’elle n’existe pas. Quatrième étape : imaginer une pièce dans laquelle la chaise était posée. Cinquième étape : imaginer la pièce sans cette chaise. (On aurait pu imaginer une pièce dans laquelle cette chaise n’était pas posée.) Imaginons que la pièce n’existe pas. N’est-ce pas trop tard, sachant que nous venons d’en parler pendant plus d’un paragraphe ? Ignorons cette remarque impertinente. On remonte d’absence en absence, et on arrive à « imaginons qu’il n’y ait pas de sujet pour expérimenter ce qu’on tente de définir comme le néant. » Le néant ne serait-il pas un bon sujet pour ne même pas posséder de sujet, n’étant pas tangible ? Oui mais je. Le je pourrit tout. Puisque je sais que j’existe, et que je pense percevoir, l’objet (de quoi que ce soit) existe. Donc, pour le sujet, le néant ne peut exister. Et pourtant, conclure sur l’inexistence du néant ne peut que confirmer sa nature. (...)

Le révérend et les loups

Révérend impie pilotant tant qu'à faire ces fers saisissants, sans même y croire un mot. Maux qu'il a pourtant maugréés, au gré de ses mots, moteurs d'une heure où les loups perdent leurs ailes ou meurent sous les coups. Coupant court à leurs cours, écoutés par les derniers, mais niés par leurs compères, perdus sous les combes des greniers, ils grognent. L'assis curé grognon ainsi accourt à leur secours – pourtant de ce temps responsable de leurs habitats de sable, desquels, même avec pelles, on ne tire que des querelles –, tâtonnant sur le tact duquel se nantir devant ces têtes taciturnes. « De quel son vous ai-je dont fait don pour que pardon soit hors de question ? » Peu tendirent l'oreille, veillant sur l'or de leur restes, et restèrent hors débat, abattus par le bas dont ils subissaient les conséquences. « Qu'en est-il de nos semences ? » scanda l'un. « Scandaleux ! » sema l'autre. « Mais ne voyez-vous donc pas ? » dit le loup clairvoyant, oyant la supercherie de l'auteur haut-perché. « Chez Père déjà vous vous trompiez, regardant la trompe mouvante plutôt que le pied ancré ! » Créant ainsi l'encre qui marqua le révérend épié, de la trace du calamar oublié trompé par la forme de ses pieds, l'oracle loup se racla la gorge, et dit : « alors que la faim est arrivée à pied, la satiété est gaieté, et guetteurs que nous sommes, bavant devant ton vent, curé, récuse-toi ou tu seras mangé. »

Je.

Comment placer le « je ». Comment placer l'individu, alors que tous ses comportements sont analysables par des lois statistiques. Individu comme élément perturbateur, individu comme variation de l'écart–type, mais jamais individu comme élément tout court. Les modèles représentent des dynamiques de grande échelle (par rapport à l'échelle humaine), et fonctionnent. Pourquoi le monde est-il constitué d'individus perturbateurs ne répondant pas à cette loi des moyennes, tout en garantissant le respect de cette loi ? Si le monde n'était qu'une moyenne, le déterminisme régnerait. Un monde déterministe, il est obligatoire de pouvoir s'en ennuyer. Un monde indéterministe pourvoit la capacité d'avoir en permanence une question sans réponse. Et la nature de la recherche de cette question et de la même que celle de la recherche du but de la vie. De la célèbre question « pourquoi quelque chose plutôt que rien ». Et même en essayant de caler le temps à l'arrache là-dedans, en se disant qu'il y a eu un instant avant lequel rien n'existait, c'est soit se fourvoyer, soit admettre qu'il existe une nature transcendante. Et même en gardant cette hypothèse, cette nature transcendante pourra être modélisée, la rendant immanente, et cela apportera, encore une fois, la question de la transcendance. Si jamais la transcendance se devait d'être accessible, elle deviendrait, par définition, immanente. On ne peut qu'en conclure que la transcendance est inaccessible de par sa nature même, et que tout effort pour l'atteindre, bien que poussant les limites de nos capacités, telle la limite d'une asymptote, est vaine.

Altruisme

Comment peut-on avoir un désir impliquant quelqu'un d'autre ? Un désir est une manifestation d'un besoin que j'appellerais secondaire, ou plutôt une manifestation de la volonté. Comment cette manifestation peut-elle prendre en compte un autre acteur ? Comment est-il possible de considérer les émotions des autres êtres ? On pourrait dire l'empathie, les neurones miroirs. Mais ce que font les neurones miroirs, c'est faire croire à l'individu qu'il est son environnement. Lorsque qu'une personne A regarde une personne B souffrir, ou simplement prendre un objet, cela active dans le cerveau de la personne A des circuits neuronaux quasi-identiques à ceux qui seraient activés si c'était elle qui ressentait les émotions de la personne B, ou qui faisait la même action. Toute empathie passe donc par identification, et donc par une simulation du type « à sa place, je me sentirais comme cela, je bougerais de telle façon ». Il apparaît donc que l'altruisme est une illusion sociale accordée à chacun pour se justifier de ce qu'il n'aimerait pas subir. Il n'existe pas d'altruisme au sens premier, de dévouement à proprement parler. Il n'existe qu'un miroir d'excuses permettant de justifier nos actes comme s'ils n'étaient pas égoïstes.

Étincelle

Refuser la société, c'est comme refuser l'individu. Partir du principe qu'on « a pas choisi » de naître dans un contexte ne change pas le fait que la société est un résultat direct de l’agrégation d'individus. L'individu est, indirectement, la société. Ce sont les effets divergents et contradictoires des individus, les « accidents », qui donnent l'impression que l'on peut parler de la société d'un côté, et de l'individu de l'autre, comme deux choses antinomiques, alors que ce sont deux facettes d'une même dynamique, présente à une échelle inaccessible. (...)

IA

L'humain approche lentement, mais exponentiellement accéléré, du moment où les intelligences artificielles feront le travail de recherche de l'humanité. Les transhumanistes et autres appellent ce moment la singularité. La crainte de l'extinction de l'humanité (ou en tout cas d'un affrontement) est assez répandue, et compréhensible. Si l'on regarde la progression de la technologie depuis la plus vieille révolution industrielle (j'entends la machine à vapeur, il y a trois petits siècles), à l'époque ou Charles Babbage et Ada Byron imaginaient déjà un ordinateur polyvalent et programmable, il est évident que soit cette progression va saturer à un niveau stable, économiquement problématique, soit exploser vers le développement d'une vraie IA. Dans ce sens, les précautions que l'humanité doit prendre se doivent d'être calquée sur ce qui est efficace, c'est-à-dire l'évolution. Mais attention, l'évolution a mis des millénaires pour faire de l'homme un animal décent, mais un poil trop vite. (...)

Moteur

Que retire-t-on de la vie ? Est-on obligé d'en tirer un avis global négatif ? Ne pourrait-on pas se satisfaire de ce que l'on nous voit présenté ? On jongle, entre différents aspects, différents points de vue, différentes personnalités. De parler de ces personnalités impose une évaluation extérieure négative, en raison du côté négatif émergent de la différence des individus. Si l'on recherche donc un avis (ou des avis) venant des autres, nous ne pourrons qu'obtenir des avis négatifs, car en désaccord avec notre pulsion propre. Ce désaccord est à l'origine de l’individualité, mais en accord avec la pulsion primaire présente en chacun de nous. Cette pulsion, que j'ai souvent appelé moteur, s'appelle chez Shopenhauer et chez Nietzschze la volonté. Elle s'appelle chez Platon l'Idée. Elle s'appelle chez n'importe quel organisme religieux Dieu. On n'en revient dans tous les cas qu'à un cas de moteur primitif, une pulsion à défaut d'une raison de vivre. (...)

Localisation

Dire que les pensées sont dans le cerveau est un fait largement accepté, mais qui a sûrement été accepté trop vite. Ce qui nous pousse à croire que nos pensées sont dans le cerveau, c'est la position de nos yeux et de nos oreilles. (...)

Instinct

De première abord, cela peut paraitre exagéré, mais il convient de noter qu'il facile de tout ramener à l'aspect animal de l'Homme, en tant que principe d'action. D'une part, nous avons la volonté de persévérer en tant qu'être. C'est bien sur ce qui est indispensable pour ne pas se laisser mourir. Cela a comme effet de bord de pousser chacun de nous a privilégier son sang, sa famille, son groupe social proche, parfois contre la logique. Cela peut pousser à la mauvaise foi. Cela peut pousser au mensonge. Mais somme toute, on ne cherche jamais qu'à se préserver soi-même. On n'est jamais généreux que pour se construire un personnage qui le serait, pour mieux vivre son rêve. On aime jamais que soi-même, ou un partenaire potentiel de copulation. Car ce que l'on cherche dans une progéniture, c'est d'abord un clone. Ce qui pousse certains parents à préférer donner des conseils rigides, « c'est comme ça qu'il faut faire », plutôt qu'une véritable ouverture d'esprit. Car si l'être encore façonnable ne suit pas le chemin du parent, c'est une sensation de retour en arrière, d'échec de prolifération à l'identique. Et dans le doute, autant en faire plein. (...)

Le poète

Le poète (...)

Perception : partie 1

Première partie d'une étude perceptive, particulièrement de la vue, consistant en la description tentée exhaustive d'une expérience de synesthésie après prise accidentelle de LSD. La seconde partie tentera d'apporter des éléments explicatifs fondés aux différentes partie du récits. (...)

Dictionarisation

Expérience sur les fréquences d'utilisations des mots. Comme Raymond Queneau effectuait des décalages des mots de même type par rapport à leur position dans le dictionnaire, ici chaque mot est décalé suivant sa fréquence d'apparition dans le texte. Le résultat ressemble presque à du langage naturel dont le sens serait juste à portée, mais pourant inaccessible. (...)

Fenêtre

En ouvrant la fenêtre, le silence m'a abasourdi, totalement frappé par cette intensité négative. La relativité de ma perception s'est trouvée être confortée, et m'amène à consolider l'idée de l'adaptation permanente, et plus qu'inconsciente, inévitable. C'est une propriété émergente de l'évolution en tant qu'espèce, cet inéluctable aplatissement de toutes les valeurs. Car l'évolution peut être reformulée de la façon suivante : les organismes tendent à se transformer en leur environnement, voire en son dual, celui-ci appliquant une pression permanente moulant la façon dont ils évoluent. Il est facile d'imaginer que dans certaines conditions, plus rien ne peut être perçu, pas parce qu'il n'y a rien à percevoir, mais parce l'adaptation permanent réduit ces perceptions à leur état le plus aisé à comprendre : le noir total. En revenant sur « l'absolu (local), c'est ce qu'on voit lorsque l'on ne voit rien », il est possible de faire un modèle de la perception uniquement relatif, et ce modèle implique d'une part l'impossibilité de communiquer à travers ce voile et de comparer quelque situation de bonheur que ce soit, et d'autre part l'impossibilité de concevoir un néant qui serait absolu. Ce bonheur étant une combinaison d'évènements aléatoires en phase avec certaines règles pré-établies de satisfaction, son « intensité » (qualitative bien entendue) ne peut jamais être posée sur une échelle absolue, ni donc être comparée comme la masse aime le faire dans un but de culpabilisation (souvent associé à un besoin d'identité politique ou culturelle). (...)

Journal d'un mardi soir

23:56 – prise d'un tiers. Chronomètre lancé. Tâche pour attendre la montée : relecture globale. À partir de ce moment, les instants seront référencés de manières relative. NB : ivre. (...)

Artefact

Tout devient lié au besoin irrépressible de consommer à nouveau ce qu'on a connu, et qu'on obtiendra jamais à nouveau. La recherche de la première fois. La vie rend drogué d'elle-même. Étant incapable de profiter de quoi que ce soit qui n'a pas été improvisé, l'on devient voué à attendre quelque chose de sa vie, comportement dans lequel la condamnation à la déception est inévitable. Chaque expérience est un gâchis de plus de pouvoir d'occupation, et chaque déception une preuve de l'addiction de plus en plus présente. Les gens sont de plus en plus fades, les situations de plus en plus prévisibles, le tout donnant une mélasse d'attentes inassouvies. Il y réside tout de même cet aspect intéressant qu'est l'imprévu, le glitch. Le non modélisé. Car comme tout modèle auto-référent, il ne considère pas ce qui le dépasse. Ce trou imprévisible dans la réalité nous montre ce qu'elle est vraiment : une longue succession de modèles glitchés, permettant de retrouver parfois son chemin aux extrémités les plus improbables, ne nous apportant rien de plus qu'un divertissement passager ne nourrissant que l'aspect enfantin et imprévisible que nous avons perdu.

Rideau

Et derrière ce rideau obscène, j'ai découvert le vrai visage de la réalité. Ou plutôt, j'ai constaté l'absence de visage. Ce personnage sans trait m'a tendu la main. je l'ai suivi dans son royaume vierge, où toutes les toiles étaient blanches, toutes les portées immaculées, tous les poèmes inachevés. j'y ai découvert les pinceaux et les crayons, les instruments de musique et les appareils de capture optique. Et sur cette scène géante n'attendant que ma mise en scène, j'ai commencé à dessiner. j'ai scindé mon être pour mieux me répartir les tâches. Ces multiples créations potentielles m'ont rendu extatique, et d'autant plus frénétique pour la création. Jusqu'à oublier l’ego, détruire l'ego. (...)

Estrade

Comment faire sortir un personnage de l’œuvre le contenant ? Il suffit qu'il n'ait jamais été enfermé dedans, mais qu'une partie de son essence ait été projetée et enfermée dans l’œuvre par un système de perception limité, tel l'être humain avec dans un premier temps la culture, et plus primordialement par l'abnégation culturelle des sens. "Vivre c'est respirer le bon air frais. La vie c'est les enfants. Vivre c'est sentir." Faux. La vie est un escalier qu'il faut s'efforcer de parcourir par l'intraperception, et non pas une marche depuis laquelle on contemple sa propre contemplation. Le personnage est donc déjà sorti de l’œuvre, car je – ce "je" étant tous les mois possibles –, je suis ce personnage, et je suis bloqué à une marche car je ne sais pas comment la monter ; mais monter n'est pas la seule façon de parcourir un escalier. (...)

Animal

L'humain n'est pas qu'un animal. Pour les conventions ici, je différencierai animal d'homme par la technologie. (...)

Impressions

Les impressions nous donnent un monde. Les rapports nous donnent ces impressions. Lorsque l'on s'habitue à une perception, elle s'efface petit à petit, et tout semble graviter autour d'elle. Travailler des mois devant un écran 4:3 et voir un 16:9 nous semble étrange, et inversement. Boire une bonne bière durant des semaines nous prive du plaisir qui devrait en découler. Vivre dans un taudis pendant suffisamment longtemps permet de profiter de n'importe quel habitat. Cette évidence relative est cependant soumise à un comportement difficile à appréhender : la variation de sa référence. Chacune de nos expériences est dépendante dans sa définition d'un absolu. Cet absolu n'est presque pas pertinent, mais j'y reviendrai plus tard. En l'occurrence, évoquer « un » absolu plutôt que l'absolu est perturbant, mais c'est précisément ce que j'appellerai l'absolu local. Il n'est pas local parce qu'il est hiérarchiquement ou ontologiquement dépendant de quelque autre notion, il est local car variant en fonction des précédentes perceptions. Il reste cependant absolu par son omniprésente référence parmi toutes les perceptions. (On pourrait presque faire une analogie avec le problème à N corps.) (...)